Dr Jean-Pierre Lavoie et un cheval

25 ans de recherche en santé respiratoire des chevaux — qu’avons-nous appris?

Jean-Pierre Lavoie, DMV, Dipl. ACVIM, Professeur titulaire en médecine interne équine

Nomenclature: souffle, COPD, emphysème, IAD … il y a beaucoup de confusion

Bien qu’il ait été noté dès l’Antiquité que des chevaux développent un syndrome respiratoire chronique et sévère lorsqu’ils sont gardés à l’écurie et exposés au foin, cette condition demeure très fréquente dans la population équine québécoise. Connue sous les noms d’emphysème pulmonaire, bronchite chronique, COPD (MPOC) équin et maladie des petites voies respiratoires, on préfère maintenant les termes « souffle » (Heaves, en anglais) ou Recurrent Airway Obstruction (RAO) pour décrire cette condition incurable des chevaux adultes (généralement ayant sept ans ou plus) associée à une obstruction respiratoire chronique dans laquelle des périodes de détresse respiratoires au repos sont notées. Certains chevaux développent plutôt des signes cliniques alors qu’ils sont au pâturage; on parle alors de Summer Pasture Associated Pulmonary Obstructive Disease (SPAOPD).

L’Inflammatory Airway Disease (IAD) est utilisée pour décrire une condition dont les signes respiratoires sont moins sévères avec absence de détresse respiratoire au repos. La majorité des chevaux connaîtront des épisodes transitoires d’IAD durant leur vie, avec une progression vers le souffle, ce qui est observé chez environ 15 % des chevaux. Le souffle, le SPAOPD et l’IAD ne sont pas des maladies différentes, mais bien des syndromes complexes résultant possiblement de phénomènes inflammatoires variés menant à des signes cliniques similaires, mais de sévérités variables.

infographie maladies pulmonaires équines
Pourquoi avoir changé la nomenclature?

Le terme «COPD  équin» a été introduit dans la littérature puisque les neutrophiles prédominent dans les voies respiratoires inférieures des chevaux affectés du souffle, tout comme cela est observé chez les patients humains atteints de COPD (MPOC, en français). Toutefois, il y a autrement très peu de similitudes entre ces deux conditions. Alors que l’obstruction respiratoire est réversible chez les chevaux atteints du souffle, la réponse thérapeutique est faible chez les humains atteints de COPD, et l’emphysème pulmonaire commun chez les humains affectés, n’est pas observée chez ces chevaux. Au contraire, le souffle partage de nombreuses similitudes avec l’asthme sévère chez l’humain. En effet, les chevaux atteints du souffle démontrent une obstruction respiratoire réversible par un retrait antigénique, l’administration de bronchodilatateurs ou de corticostéroïdes. De plus, on reconnait maintenant qu’une neutrophilie pulmonaire n’est pas rare chez les patients asthmatiques. Pour ces raisons, le cheval est un modèle unique pour l’étude de l’asthme chez l’humain, puisqu’il s’agit de la seule maladie des animaux domestiques qui se développe spontanément, et qui peut être étudiée dans des conditions naturelles menant à l’exacerbation ou à la rémission clinique. Plusieurs des données récentes sur le souffle découlent de notre programme de recherche translationnelle aux Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) portant sur le remodelage asthmatique et sa réversibilité et notre programme au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) sur le rôle du neutrophile dans l’inflammation allergique.

Pathophysiologie - souffle

La pathophysiologie du souffle s’apparente à une allergie, sans toutefois présenter toutes les caractéristiques d’une réaction d’hyper sensibilité de type 1. Si une réponse allergique immédiate n’est pas observée dans le souffle, la réponse lymphocytaire caractéristique des allergies (de type Th2) est aussi retrouvée dans cette condition. Nous avons démontré que cette réponse lymphocytaire pourrait contribuer à l’influx de neutrophiles dans les poumons des chevaux affectés. Toutefois, les IgE ne semblent pas impliqués dans la maladie, et donc les tests d’allergie sanguins ou cutanés ne sont pas diagnostiques.

Souffle: incurable mais traitable
Corticostéroïdes

Ce sont les plus efficaces pour contrôler l’obstruction respiratoire chez les chevaux atteints du souffle. En effet, une normalisation de la fonction respiratoire est observée entre trois et sept jours après le début du traitement et ce même en l’absence de changement dans la régie du cheval. L’efficacité n’est pas influencée par la sévérité de l’obstruction (c.-à-d. un cheval sévèrement atteint peut répondre mieux qu’un autre moins atteint). On connaît moins l’effet du traitement sur la toux, mais son efficacité semble plus mitigée.

La dexaméthasone (0,05 mg/kg, q 24h PO ou IV) est le médicament le plus puissant pour le contrôle du souffle, et l’amélioration est similaire à celle observée après un contrôle antigénique strict. Elle est plus efficace que la prednisolone (2 mg/kg q 24h PO), même si ce dernier est administré à une dose 40x plus élevée. L’isoflupredone acétate (0,03 mg/kg, IM q24h) est également très efficace, mais son administration est associée à des changements électrolytiques (hypokaliémie). Bien que la triamcinolone (0,09 mg/kg, IM) améliore la fonction respiratoire pour trois à cinq semaines, son utilisation est associée à un risque accru de fourbure. La prednisone n’est pas absorbée lorsqu’administrée par voie orale chez le cheval, et donc ne devrait pas être utilisée pour leur traitement.

Les corticostéroïdes administrés par inhalation sont très efficaces pour contrôler l’obstruction respiratoire, et sont mieux tolérés que s’ils sont donnés par voie systémique. Ils sont donc idéaux pour le traitement du souffle, surtout lorsqu’une administration prolongée est requise. L’inhalation de fluticasone pendant douze mois, et à des doses efficaces à contrôler l’obstruction respiratoire, est très bien tolérée par les chevaux atteints. Aucune altération de la fonction immunitaire ou de la réponse vaccinale des chevaux n’a été notée. Bien que cette approche thérapeutique soit idéale, les coûts limitent son utilisation.

Toutefois, et pour tous les corticostéroïdes, l’amélioration de la fonction respiratoire n’est que transitoire si des changements de régie ne sont pas effectués puisque l’inflammation respiratoire persiste (voir plus bas). Aucun effet bénéfique résiduel n’est détecté sept à quatorze jours après la fin d’un traitement de quatorze jours à la dexaméthasone.

Bronchodilatateurs

Lorsqu’administrés par inhalation, ils permettent une améliora tion rapide (< 15-30 min), mais transitoire (30 min-6 h) de la fonction respiratoire des chevaux. Leur efficacité est moindre que celle observée avec les corticostéroïdes ou avec des changements de régie. Ils sont donc surtout utilisés immédiatement avant l’exer-cice, pour améliorer la tolérance à l’exercice. Le clenbutérol est le seul bronchodilatateur commercialisé au Canada spécifiquement pour le traitement des maladies respiratoires de chevaux. Il est surtout efficace lorsque l’obstruction respiratoire est faible ou modérée, et une diminution de son efficacité (tachyphylaxie) est observée après 21 jours de traitement continu. Cette tolérance peut être renversée par une seule dose de corticostéroïde.

Il a été suggéré que la réponse à un bronchodilatateur puissant comme l’atropine permet de déterminer la réversibilité de l’obstruction respiratoire. L’atropine est associée à des effets secondaires, tels que la tachycardie, une mydriase et parfois des coliques. Le buscopan commercialisé pour le traitement des coliques est un bronchodilatateur aussi efficace que l’atropine, mais est mieux toléré.

Comme indiqué précédemment, la réponse à ces médicaments est généralement moindre que celle observée avec les corticostéroïdes, et leur utilisation pour «prédire» la réversibilité de l’obstruction n’est donc pas recommandée.

Autres médicaments

Plusieurs autres médicaments et suppléments ont été évalués pour le traitement des chevaux atteints du souffle, mais aucun ne s’est avéré suffisamment efficace pour être d’intérêt clinique.

Neutrophiles et corticorésistance

Nous avons démontré que les corticostéroïdes (et les bronchodilatateurs) ne permettent pas de renverser l’inflammation neutrophilique pulmonaire. Ceci n’est pas causé par une corticorésistance intrinsèque des neutrophiles équins, comme on le prétend généralement. La persistance de la neutrophilie dans le souffle suggère plutôt que c’est le milieu pulmonaire qui contribue à cette apparente résistance.

Remodelage pulmonaire et réversibilité
Muscle lisse

L’amélioration rapide de la fonction respiratoire après l’administration de bronchodilatateurs indique que le bronchospasme est la principale cause de l’obstruction respiratoire dans le souffle. Nous nous sommes donc intéressés à l’étude du muscle lisse bronchique, puisqu’il est le principal responsable du bronchospasme. Les chevaux atteints du souffle ont deux à trois fois plus de muscle lisse péribronchique que les chevaux exempts de maladies respiratoires. De plus, il y a également des altérations dans la composition du muscle lisse bronchique.  En effet, une isoforme de la myosine, qui permet une contraction musculaire plus rapide, est surexprimée chez ces chevaux.

Fibrose et fibres élastiques

Le remodelage bronchique affecte également la matrice extracellulaire de la paroi bronchique. En effet, nous avons rapporté de la fibrose bronchique et une déposition accrue de fibres élastiques dans la paroi (lamina propria) des voies respiratoires des chevaux atteints du souffle. Ces altérations sont impliquées dans l’obstruction respiratoire, puisque la quantité de collagène péribronchique est positivement corrélée avec la résistance pulmonaire chez les chevaux atteints du souffle, alors que la corrélation entre les fibres élastiques, l’élastance pulmonaire (élasticité), observée chez les chevaux normaux, est perdue chez les chevaux atteints du souffle.

Réversibilité

Une question non résolue dans l’asthme humain est de savoir si le remodelage bronchique des sujets affectés est réversible par les corticostéroïdes ou les bronchodilatateurs. Il s’agit également d’une question fondamentale pour la gestion des chevaux atteints de maladies respiratoires chroniques. Nous avons ainsi déterminé, qu’une administration de corticostéroïdes inhalés pendant 12 mois, ou un retrait antigénique (chevaux gardés en paddock, nourrit avec de la nourriture cubée), réduisent d’environ 30 % en moyenne la masse musculaire bronchique, mais que celle-ci demeurait toujours deux fois supérieure à celle de chevaux contrôles. La déposition de collagène est quant à elle presque complètement réversible avec ces deux approches.

Prévention

La découverte que le remodelage bronchique n’est que partiellement réversible met en lumière la nécessité d’une identification précoce des chevaux susceptibles de développer le souffle afin d’instituer des mesures hygiéniques strictes pouvant prévenir le développement de la condition. À ce jour, il n’existe pas de méthodes permettant d’identifier les chevaux à risque. Dans cette optique, nous avons récemment constaté que les taux sériques d’haptoglobuline sont plus élevés chez les chevaux atteints du souffle que chez les contrôles, et ce, respectivement du stade de la maladie (rémission, exacerbation aiguë et chronique). Nous sommes présentement à évaluer si seule, ou combinée à d’autres marqueurs, la mesure de l’haptoglobuline permettrait d’identifier les chevaux qui développeront le souffle.

Nous sommes également à identifier des méthodes diagnostiques non invasives pour l’évaluation clinique du remodelage bronchique. L’endoscopie endobronchique (EBUS) permet d’identifier le remodelage affectant le muscle lisse bronchique chez les chevaux atteints du souffle.

En résumé, les maladies respiratoires chroniques demeurent une des principales conditions médicales affectant les chevaux au Québec. Bien que les corticostéroïdes et les changements hygiéniques soient efficaces à contrôler les signes cliniques, les dommages tissulaires observés dans le souffle sont en partie irréversibles avec ces traitements. Le développement de méthodes permettant le dépistage précoce des chevaux susceptibles et la découverte de médicaments ciblés permettant de renverser le remodelage tissulaire établi apparaissent comme des priorités de recherche pour les prochaines années.

 

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Asthme équin sévère: le point sur la recherche
Airway Remodeling in Heaves, Dr. Jean-Pierre Lavoie answers the question of whether airway remodeling is reversible in horses with heaves.
Steroids, Management Changes to Treat Heaves (reportage avec la Dre Mathilde Leclère, Dipl. ACVIM, professeure en médecine interne)
Red in Motion: Neutrophil-Derived Exosomes as Drivers of Airway Smooth Muscle Remodeling (capsule vidéo de l’American Thoracic Society portant sur un projet de recherche de Dr Lavoie)

 

Source: Le Veterinarius + Numéro 5, Vol. 30 #4, Septembre 2014